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P'tis poussés, route des semis




Nous partons le matin sous la même grisaille que la veille, réveillés par les gouttes de pluie qui tombent du toit sous lequel nous sommes réfugiés. Et pourtant le rayon de soleil de la matinée se montre plus vite que nous l'espérons. Un rayon un peu particulier qui nous ébloui. Nous avons bien dit qu'il était important de tirer parti du chapelet de rencontres durant ce périple, alors nous écrivons ces deux heures de visites et de discussions. C'est une belle rencontre avec l'association Bosque Modelo Jujuy, à l'école d'agriculture de Los Pericos, à une vingtaine de kilomètres de la capitale de la région. Nous y découvrons, avec les membres les plus actifs, son travail et ses actions pour la préservation et la dissémination des graines d'arbres endémiques à cette région sub-tropicale. C'est aussi l'occasion de parler avec Pedro, professeur agronome engagé qui nous éclaire sur les pratiques et les enjeux agricoles locaux et nationaux.


Au milieu du paysage de bocage densément cloisonné de longs et parfois épais linéaires arborés, nous accédons à la petite pépinière, au fond des hangars, des classes et autres bâtiments de l'école d'agriculture. L'air est très humide, la campagne est verte et foisonnante, il fait environ 15 degrés en ce début d'automne.



On est attendu. Accueillis par Julia qui est l'une des 4 personnes assurant la chaîne de travail de cette pépinière. Julia récolte les graines des arbres dans la campagne, prenant chaque sujet, ses fleurs et ses feuilles en photos, identifiant les espèces. Elle trie les graines, les prépare au semi ou les met en sachet pour la vente. Sa manière de procéder nous rappelle, notre travail de récolte, souvent sous la tente. Puis quelqu'un d'autre prend la relève pour préparer les godets - petits sacs plastiques noirs épais - pour ensuite les remplir de substrat puis semer. Enfin, Victor - et oui un Victor argentin - et son ami prennent en charge les cultures des jeunes plans destinés à peupler les linéaires bocagers de la campagne. Un beau cycle artificiel assuré par ces 4 paires de mains de jardiniers.


Pedro, ingénieur agronome, membre de l'association et professeur à l'école, explique cette production par semi, puisque beaucoup de fincas - de fermes - comptent, dans cette campagne, sur les linéaires bocagers pour accroître la biodiversité des parcelles de tabacs, maïs ou pâtures. Pas pour toutes, car lorsqu'on constate la quantité souvent affolante de round up qui brunit les fossés et les talus, lorsqu'on constate une parcelle démesurée de maïs - tous identiques - au milieu d'une plaine normalement morcelée de petits champs, on se dit que John Deere, New Holland, Bayer et Monsanto n'ont pas oublié ce coin de campagne, sa justification devient ambiguë. Mais on veut bien le croire en partie, il faut bien que la production, s'élevant à 20 000 plans par an, soit plantée quelque part. Et le paysage reste très largement arboré de Ceiboa, d'Accacias, de Jacaranda...


Pedro enseigne donc l'agronomie. Laquelle ? Celle qui soulève 50cm de sol et qui arrose de fongicide les plans OGM de soja destinés à engraisser les chocolats des pays occidentaux, créant des déserts agricoles sur les plaines de son pays étendu, depuis le pied des montagnes de la Cordillère au littoral Atlantique ? Ou celle qui comprend et transmet le cycle de l'humus qui justement utiliserait les feuilles des arbres agroforestiers pour enrichir les cultures de semences adaptées au 1200mm de pluies par an, au 40ºC estivaux dans cette plaine d'une petite centaine de kilomètres. Eh oui, autant rentrer au cœur du sujet rapidement... Nous pouvons traduire sa réponse étoffée en une agronomie de transition, adaptée aux spécificités de la région, qui donne la possibilité aux élèves de comprendre ce qu'est une semence hybride, ce qu'est un OGM, ou ce qu'engendre la déstructuration d'un profil pédologique, bref leur donner la capacité de choisir. Une agronomie qui n'est pas exemplaire mais qui fait réfléchir les futurs agriculteurs.


L'école, lieu d'apprentissage, d'expérimentation et de transmission ne traite presque plus sur les 50ha de champs cultivés, mais on s' afflige devant la taille des socles des charrues entreposées devant les bâtiments. Qu'en est il du paysage dans cette histoire ? C'est peut être justement un entre deux. Entre des technologies mécaniques disproportionnées, hors échelle, et l'acte perpétué par ces acteurs locaux de plantations d'arbres endémiques donnant à cette campagne des allures de Limousin aplani. L'effervescence des houppiers et frondaisons est telle que l'on en oublierait le cœur des parcelles cultivées de hauts tabacs, maïs et soja. Alors revenons à l'action de l'association qui, depuis 10 ans a dispersé pas moins de 200 000 baliveaux assurant la régénération des bocages.


On ne peut qu'approuver cette énergie dépensée par ses divers membres - aussi bien sur le terrain que dans les bureaux - qui œuvrent dans leur domaine et à leur échelle, et pas des moindres. Ils assurent en parti le cycle de l'agriculture et des paysages, leur évolution. Ils assurent quelque part le projet de paysage agricole, arrêté depuis l'arrivée des tracteurs et autres engins fumeux en Europe, en Amérique du Sud et du Nord, dans les années 40. Le projet de paysage agricole, perpétuelle évolution agronomique et esthétique de l'espace cultivé et/ou sauvage, comme le définit si bien Régis Ambroise, agronome et paysagiste français, est aussi une question d'arbre.


La suite des actions et des engagements déjà bien entamés, entre écologie, botanique et agriculture, pourrait être de suivre les traces de Kokopelli, association française dont nous transportons les semences paysannes - transmissibles - disséminées dans les fermes et potagers croisés sur notre route dans la Cordillère des Andes. Une banque de semences nourricières qui assurerait la pérennité de la diversité des espèces de cette chaîne de montagne bien connue historiquement. Un regard à 360º, depuis le milieux d'un champs, sur les paysages, perpétuelle régénération de graines et de semences, superpositions de temps et d'époques.


Nous devons tout de même aux peuples Incas le maïs qui fait pisser nos vaches normandes de lait non ?




Victor et Emmanuel

Un periple a partager

mardi12 avril, Jujuy, Argentine


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